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Un témoignage sur les pouvoirs de la musique à l’ULIS de l’école Pierre Corneille de Gargenville

Publication : (actualisé le ) par Isabelle Gillot

Conférence : les pouvoirs de la musique 22 juin 2022 Témoignage Valérie
Qui je suis :

J’ai 58 ans, j’ai une surdité légère de naissance. Enfant, on m’a toujours dit que je chantais faux (ce qui était vrai). J’étais incapable de frapper dans les mains en rythme avec par exemple les spectateurs d’un concert. Impossible aussi pour moi de danser, (toujours en dehors du rythme).
De fait dans tous ces moments festifs, de partage avec les autres autour de la musique, de la chanson, de la danse, j’étais à l’écart. En vrai c’était quand même assez douloureux. Un vrai handicap invisible…
De fait, je n’ai jamais chanté de ma vie. J’étais complètement bloquée.
Je suis professeur des écoles, j’ai longtemps eu des classes de CP.
Pour faire chanter mes élèves, j’utilisais exclusivement des enregistrements de chansons.
Mes élèves apprenaient les chansons, moi, je ne chantais pas avec eux, je ne mémorisais pas non plus les paroles des chansons.
Je faisais appel aux collègues : par exemple pour faire démarrer les élèves au bon moment sur une version instrumentale des chansons qu’on avait apprises.

Une rencontre avec la musique :
Il y a quelques années, alors que l’école préparait un spectacle musical, nous avons demandé à Didier Zaffran, le coordinateur de l’école de musique de Gargenville, de nous aider pour faire chanter les élèves. Bien sûr il fallait quand même que nous les enseignantes continuions le travail que Didier avait pu commencer avec les élèves : les faire chanter, en tenant compte de différentes choses. Compliqué pour moi, ce que j’ai raconté à Didier.
Et de là s’est fait le début d’une rencontre avec la musique pour moi et par la suite pour moi et mes élèves :
Didier a osé parier que je pourrais chanter juste (ou moins faux).
Après quelques séances de chant en individuel je me suis inscrite à l’école de musique, pour un cours de guitare avec comme objectif de pouvoir accompagner des chansons.
L’accompagnement de la guitare va guider, soutenir ma voix mon oreille pour améliorer la justesse du chant.
Alors y a plein de trucs qui restent très compliquées pour moi, que n’importe qui d’autre fait naturellement. Moi, il faut que j’intellectualise tout, pour arriver à pouvoir ressentir, bref…
Souvent je mets en place des stratégies de contournement pour mieux comprendre, par exemple des codes couleurs pour mémoriser les accords, j’ai besoin de voir la musique écrite pour comprendre (un peu) le rythme des chansons. J’ai besoin d’apprendre les chansons par cœur (et finalement c’est devenu plutôt facile pour moi), de façon à pouvoir me concentrer sur le rythme, le jeu de la guitare…
Quand Didier m’explique un truc, je comprends rarement sur le coup, il faut que ça fasse son chemin, que je répète doucement à la maison etc.
Bon tout ça pour dire que si moi je suis arrivé à quelque chose, tout le monde peut y arriver et bien sûr aller beaucoup plus loin !
Jamais je ne pourrais assez le remercier pour ça. Je ne sais pas si on peut mesurer le manque quand on ne l’a pas connu (parce qu’on est déjà musicien, doué etc.)

La musique avec mes élèves
Il y a 5 ans, je suis devenue coordinatrice d’une Ulis TFC : c’est-à-dire un dispositif au sein de l’école Corneille, qui accueille des élèves en situation de handicap : des élèves qui ont des troubles des fonctions cognitives, c’est-à-dire pour tous, de grosses difficultés pour apprendre, pour mémoriser, pour fixer leur attention, pour rester concentré, pour planifier, prévoir, contrôler leur travail.
Certains peuvent avoir un trouble du spectre autistique.
Ils ont entre 7 et 11 ans avec des niveaux scolaires qui vont de la petite section de maternelle (et moins pour une de mes élèves de cette année) au CE2.
J’ai commencé tout doucement à jouer de la guitare pour faire chanter et accompagner ces élèves.
L’accompagnement à la guitare permet :
d’aller au rythme d’apprentissage des élèves : je peux reprendre en boucle un passage, ralentir le rythme, travailler la justesse du chant en jouant les notes….
Je dois dire que le fait d’avoir un petit public à priori pas trop « exigeant » m’a permis d’oser me lancer…
Ca a tout de suite fonctionné : au sens où il y a tout de suite eu une étincelle qui s’est allumé chez certains enfants très compliqués. Je pense en particulier à deux élèves particulièrement difficiles à gérer (avec d’énormes blocages scolaires, des situations familiales explosives, des comportements de provocation extrême…). Ces élèves ont flashé sur la guitare et ont souvent réclamé les chansons.
Ces élèves très perturbés et perturbateurs ont souvent exprimé des préférences pour des chansons « difficiles » ou tout au moins plutôt que pour des chansons spécialement crées pour un public d’enfants. (Le Sud, La croisade des enfants, l’eau vive… plutôt que des chansons d’Henri Dès par exemple) avec l’envie de chanter la chanson en entier.
Petit à petit, des habitudes se sont installées, les élèves ont intégré une posture, une attitude d’écoute pour pouvoir chanter ensemble, au rythme de la guitare.

Ce qu’apporte la musique dans ma classe

  • D’abord le plaisir :
    Le plaisir de faire ensemble
    Le plaisir de chanter, évident quand je les entends chantonner tout seul à leur table, des chansons apprises cette année ou une autre année.
    La possibilité donnée à tous les élèves d’être en réussite. Je pense en particulier à mon élève de cette année, qui n’a pas les compétences d’une élève de petite section : arrivée en septembre, elle n’écrit pas son prénom, ne recopiait pas les lettres dans l’ordre ni dans le bon sens lorsqu’on lui donnait un modèle, elle ne mémorise pas, n’avait pas le sens de la lecture ou de l’écriture, ne reconnaît pas un mot parmi d’autres etc. Cette élève mémorise les paroles des chansons, les retient sur plusieurs semaines, peut participer à une activité avec les autres grâce au chant.
    Récemment nous avons commencé à découvrir les boomwhackers, ces gros tubes colorés qui selon leur longueur font une note donnée quand on les frappe. Elle a pu jouer « sa » note au bon moment sans erreur.
    Je pense aussi à cet élève autiste qui a tant de mal à participer à une activité avec d’autres, à s’impliquer dans une activité de groupe : la musique permet aussi cela.
    Ou encore à ces élèves naturellement doués pour la musique qui chantent si juste et en rythme et peuvent être mis en valeur par la musique.
  • Des progrès sur le plan scolaire ?
    Liés ou pas à la musique ? Lien forcément difficile à établir de façon certaine, je pense néanmoins que certains progrès sont corrélés à la pratique de la musique.
    Alors en vrac
    Le goût, le sens de l’effort : pour mémoriser, chanter ensemble, ils ont besoin et ils le font, de répéter, de s’entraîner (comme des sportifs !).
    Apprendre à mémoriser une chanson, c’est développer des techniques de mémorisation qui vont pouvoir être réutilisées dans d’autres apprentissages (par exemple, apprendre les mots d’orthographe, mais oui, je constate que mes élèves mémorisent mieux l’orthographe des mots, qu’ils écrivent moins de façon phonétique).
    Développer la concentration et l’écoute : pour pouvoir chanter au bon moment, en accord avec la guitare, chanter jusqu’au bout….
    L’apprentissage de règles de savoir vivre ensemble : lors du moment chant, il y a des rituels, des règles à respecter : se positionner à sa place dans l’ensemble, se tenir droit, regarder devant, se lever à un signal, démarrer à un signal, arrêter la voix à un moment précis, respecter les chanteurs ou les musiciens quand soi même on ne chante pas…
    Et bien sûr d’autres compétences transversales pourraient être citées et développées :
    Acquérir du vocabulaire, découvrir une pratique artistique, des artistes, musiciens, chanteurs du patrimoine. Apprendre à nommer les émotions ressenties…
    Mais aussi plus étonnamment peut-être progresser en lecture, en construisant le sens de la lecture, en lien avec ce qui est entendu et joué…

NB : Le fait de devoir chanter et jouer pour les autres m’a par ailleurs fait progresser moi aussi !

A titre indicatif, quelques- unes des chansons travaillées avec les élèves :
• L’eau vive (Guy Béart)
• Le Sud (Nino Ferrer)
• La croisade des enfants (Jacques Higelin)
• Debout les gars (Hugues Auffray)
• Santiano (Hugues Auffray)
• Stweball (Hugues Auffray)
• Le bonhomme bleu marine (Anne Sylvestre)
• A la claire fontaine (version créole)
• En sortant de l’école (Jacques Prévert)
• Ecoutez le guitariste (Jean-Naty Boyer)
• L’oiseau et l’enfant (Marie Myriam)
• Prendre un enfant par la main (Yves Duteil)
• Il faudra leur dire (Francis Cabrel)
• Le lion est mort ce soir(Henri Salvador)
• Samba lélé (traditionnel brésilien)
• Où sont mes petits souliers (Henri Dès)
• Dans ma guitare (Jean-Naty Boyer)
• La pomme et l’escargot
• Le p’tit ch’val (Georges Brassens)
• Imagine (Les Enfantastiques)
• Un dromadaire (Jean-Yves LeDuc)
• Dromadaire (Didier Zaffran)
• La reine de ma vie (Didier Zaffran)